Tribunal Judiciaire de Paris, 4ème chambre – 2ème section, 25 novembre 2021, RG N°18/14538
Le Tribunal Judiciaire de PARIS a été saisi d’une procédure opposant l’acquéreur d’un terrain à son agent immobilier et l’agent commercial de ce dernier, son architecte, ainsi que les deux notaires chargés de la rédaction de l’acte authentique de vente portant sur ce terrain.
L’agent immobilier exerçait son activité à travers des agents commerciaux installés sur la totalité du territoire français, lesquels recevaient une attestation d’emploi les habilitant, dans le cadre de leur mandat de représentation, à démarcher la clientèle pour la vente ou la location d’un bien immobilier, moyennant une rémunération importante pouvant représenter plus de 70% des honoraires perçus.
L’acquéreur du terrain se plaignait d’une carence dans le devoir de conseil des professionnels ayant concouru à la vente pour ne pas l’avoir informé des conséquences des documents d’urbanisme qui avaient été délivrés, lesquels n’autorisaient pas la transformation d’un bâtiment existant en centre funéraire.
A l’exception de l’architecte, dont l’intervention était postérieure à l’accord des parties, la responsabilité de tous les intervenants a été retenue, lesquels ont été condamnés in solidum à réparer le préjudice subi par leur client, acquéreur du terrain, à concurrence de 31 867,16 € de dommages et intérêts.
La partie intéressante de ce jugement porte sur la condamnation de l’agent commercial intervenant pour le compte de l’agent immobilier, aux motifs que l’article L134-4 alinéa 3 du code de Commerce dispose que l’agent commercial doit exécuter son mandat en bon professionnel, alors que ce dernier n’a pas mis en garde ses clients sur les restrictions du plan local d’urbanisme susceptibles de limiter ou empêcher leur projet de transformation des locaux en centre funéraire.
L’agent immobilier, titulaire de la carte professionnelle, a formé une demande en garantie à l’encontre de son agent commercial au motif que ce dernier aurait manqué à ses obligations professionnelles en ne délivrant pas aux clients, les informations d’urbanisme nécessaires et aurait ainsi concouru au manquement du devoir de conseil dont est tenu son mandant agent immobilier.
Cette mise en cause de la responsabilité de l’agent commercial, tant à l’égard de son mandant qu’à l’égard du client, doit être examinée au regard de la réglementation qui lui est applicable aux termes de la loi du 2 janvier 1970 et son décret d’application du 20 juillet 1972, mais aussi de la réglementation du mandat en général dans le code civil aux termes des articles 1984 et suivants, et de la réglementation du statut d’agent commercial telle qu’elle résulte des articles L 134-1 et R 134-1 et suivants du Code de Commerce.
Pour ce faire, nous examinerons dans une première partie, les limites posées par la réglementation applicable aux agents commerciaux ; dans une deuxième partie, les rapports pouvant exister entre l’agent immobilier et l’agent commercial et dans une troisième partie, la portée du jugement rendu.
I – LES LIMITES DE L’ACTIVITE D’UN AGENT COMMERCIAL DANS LA NEGOCIATION IMMOBILIERE
A. Rappel de la règlementation
Il convient de rappeler que la loi du 2 janvier 1970 et le décret du 20 juillet 1972 ont poursuivi le souci de garantir les clients sur la compétence exigée d’un négociateur immobilier dans le cadre de son activité professionnelle.
La loi du 21 juin 1960 et le décret du 25 mars 1965, précédant cette nouvelle réglementation, avaient eu pour objet principal de réglementer l’exercice matériel de l’activité, la sécurité des maniements de fonds, la responsabilité civile professionnelle de l’agent immobilier, alors que la réglementation de 1970 a eu pour objet principal l’exigence de compétence du négociateur immobilier à travers la possession de diplômes ou d’une expérience professionnelle, suffisamment longue pour permettre de conseiller utilement un client.
Le législateur s’est également préoccupé des pouvoirs des négociateurs immobiliers en définissant leur compétence à travers les articles 4 de la loi du 2 janvier 1970 et 9 du décret du 20 juillet 1972 et leur obligation de participer à un programme de formation continue, leur responsabilité civile professionnelle étant garantie par une assurance obligatoire.
L’article 4 de la loi prévoit que le négociateur immobilier, salarié ou agent commercial, justifie de ses pouvoirs par une attestation visée par la Chambre de Commerce dont dépend l’agent immobilier qui recourt à ses services.
Si les pouvoirs du négociateur immobilier salarié ne sont pas limités et sont définis dans l’attestation qui lui est délivrée, il n’en va pas de même des pouvoirs du négociateur immobilier ayant le statut d’agent commercial.
En effet, l’article 4 de la loi du 2 janvier 1970 est ainsi rédigé :
« Toute personne habilitée par un titulaire de la carte professionnelle à négocier, s’entremettre ou s’engager pour le compte de ce dernier justifie d’une compétence professionnelle, de sa qualité et de l’étendue de ses pouvoirs dans les conditions fixées par décret en Conseil d’Etat. Les dispositions du titre II de la présente loi lui sont applicables.
Les dispositions du chapitre IV du titre III du livre Ier du code de commerce (Le statut d’agent commercial) sont applicables aux personnes visées au premier alinéa lorsqu’ils ne sont pas salariés. Ces personnes doivent contracter une assurance contre les conséquences pécuniaires de leur responsabilité civile professionnelle, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat.
Ces personnes ne peuvent pas :
1° Recevoir ou détenir, directement ou indirectement, des sommes d’argent, des biens, des effets ou des valeurs ou en disposer à l’occasion des activités mentionnées à l’article 1er de la présente loi ;
2° Donner des consultations juridiques ni rédiger des actes sous seing privé, à l’exception de mandats conclus au profit du titulaire de la carte professionnelle mentionnée à l’article 3 ;
3° Assurer la direction d’un établissement, d’une succursale, d’une agence ou d’un bureau.
Les personnes qui, à la date d’entrée en vigueur du décret en Conseil d’Etat mentionné au premier alinéa du présent article, disposent de l’habilitation mentionnée au premier alinéa sont réputées justifier de la compétence professionnelle mentionnée au présent article. »
L’article 9 du décret dispose :
« Toute personne physique habilitée par un titulaire de la carte professionnelle à négocier, s’entremettre ou s’engager pour le compte de ce dernier, justifie de la qualité et de l’étendue de ses pouvoirs par la production d’une attestation conforme à un modèle déterminé par arrêté du ministre chargé de l’économie.
L’attestation est visée par le président de la chambre de commerce et d’industrie territoriale ou de la chambre départementale d’Ile-de-France compétente en application du I de l’article 5, puis délivrée par le titulaire de la carte professionnelle. Les dispositions du II de l’article 3 sont applicables pour le visa du président de la chambre de commerce et d’industrie.
Toute personne qui détient une attestation est tenue de la restituer au titulaire de la carte professionnelle qui la lui a délivrée, dans les vingt-quatre heures de la demande qui en a été faite par lettre recommandée avec demande d’avis de réception.
Sur simple demande du président de la chambre de commerce et d’industrie territoriale ou de la chambre départementale d’Ile-de-France ou du procureur de la République formulée à cet effet, l’attestation doit être retirée. »
Il résulte de ces dispositions légales et réglementaires, que le négociateur immobilier indépendant, ayant obligatoirement le statut d’agent commercial, ne peut que prospecter des biens et recueillir des mandats au nom et pour le compte de son mandant, titulaire de la carte professionnelle.
L’agent commercial ne peut agir pour prospecter et recueillir des mandats, d’une manière indépendante, la jurisprudence rendue précisant que les missions qui lui sont confiées, ne peuvent l’être que par le titulaire de la carte professionnelle auquel il est lié par son mandat et qui lui est interdit de recevoir une mission directe de la part d’un client (Civ. 1re, 17 mars 2016, no 14-21.738, P I, no 846 ; D. 2016. 703 ; AJCA 2016. 258, obs. Lecourt ; dans le même sens : Montpellier, 12 nov. 2019, RG no 17/0166 – Paris, 4 déc. 2019, RG no 17/23036.)
Pour pouvoir prétendre au versement d’un honoraire du titulaire de la carte professionnelle, l’agent commercial doit détenir l’attestation de collaborateur de l’article 9 du décret (Civ. 1re, 5 avr. 2012, no 11-15.569, P I, no 81 ; D. 2012. 1008, obs. Rouquet ; AJDI 2012. 452, obs. Thioye – dans le même sens : Lyon, 23 janv. 2020, RG no 18/00412, CA Lyon, 3ème Chambre A, 4 Juillet 2019, N°17/04395.)
Il résulte de cette réglementation et de l’application qui en est faite par les juridictions, que les missions confiées à un agent commercial ne peuvent provenir que des instructions de son mandant titulaire de la carte professionnelle transaction immobilière et se trouvent limitées à la signature d’un mandat pour le compte et au nom de son mandant.
A l’occasion de l’exécution de sa mission, il ne peut négocier ou s’entremettre pour la réalisation de l’opération, donner des conseils juridiques aux clients et établir des avant contrats sous sa signature.
Lorsqu’il recueille un mandat pour le compte de son mandant, ce mandat est apparent à l’égard du client puisqu’il a l’obligation de mentionner sur le mandat sa qualité d’agent commercial avant sa signature, ce qui prouve que le client est informé de la qualité de l’agent commercial et du fait que ses pouvoirs se trouvent restreints par la loi à la seule réception du mandat.
C’est au regard de cette réglementation, des règles du code civil régissant le mandat et des règles du code de commerce concernant les agents commerciaux, qu’il convient d’examiner le raisonnement du tribunal Judiciaire de PARIS lorsqu’il a condamné l’agent commercial à garantir son mandant, agent immobilier, pour avoir commis une faute portant sur un défaut d’information juridique suffisante dans ses rapports avec le client de l’agent immobilier dont il est le mandataire.
Ce jugement retient la faute de l’agent commercial, et le condamne à garantir son mandant, titulaire de la carte professionnelle, pour les motifs suivants :
B. La motivation du jugement pour retenir la responsabilité de l’agent commercial
Ce jugement a ainsi statué sur la responsabilité de l’agent immobilier et celle de son agent commercial, en retenant une faute résultant d’un défaut de renseignement juridique donné au client :
« Force est donc de considérer que la société X ne démontre pas avoir averti les époux Y alors même que cette obligation lui incombait, nonobstant son absence à la rédaction du compromis de vente.
La responsabilité de la société X devra, en conséquence, être engagée sur le fondement de l’article 1240 de Code civil.
Sur la garantie de Monsieur (agent commercial)
Selon les dispositions de l’article 1992 de Code Civil « Le mandataire répond non seulement du dol, mais encore des fautes qu’il commet dans sa gestion. Néanmoins, la responsabilité relative aux fautes est appliquée moins rigoureusement à celui dont le mandat est gratuit qu’à celui qui reçoit un salaire »
L’article L.134-4 alinéa 3 du Code de commerce dispose par ailleurs que « L’agent commercial doit exécuter son mandat en professionnel ; le mandant doit mettre l’agent commercial en mesure d’exécuter son mandat »
En l’espèce, force est de constater que Monsieur (agent commercial) s’est abstenu de remettre aux époux Y un certificat d’urbanisme et de les mettre en garde sur les restrictions du Plan Local d’Urbanisme susceptibles de limiter ou d’empêcher leur projet de transformation des locaux en centre funéraire.
C’est donc à juste titre que la société X soutient qu’il n’a pas exécuté son mandat en bon professionnel dès lors qu’il avait connaissance de leur intention de modifier la destination des lieux et qu’il s’est abstenu d’effectuer des diligences nécessaires en vue de leur éviter d’acquérir un bien qui ne pouvait correspondre à leurs attentes.
Il sera, en conséquence, condamné à garantir la société X de l’ensemble des condamnations prononcées à son encontre. »
Ce jugement considère que le mandataire doit répondre des fautes qu’il commet dans sa gestion et doit exécuter son mandat en bon professionnel.
Pour rentrer en voie de condamnation à l’égard de l’agent commercial, il considère que ce dernier serait responsable du défaut d’information juridique donnée au client et qu’il n’aurait pas effectué les diligences nécessaires pour éviter qu’il ne réalise l’acquisition d’un bien ne pouvant correspondre à ses attentes.
Pour les raisons qui vont être exposées, cette motivation nous paraît très critiquable au regard des dispositions d’ordre public de la loi du 2 janvier 1970 et de son décret, alors qu’elle retient comme une faute, le fait de ne pas avoir donné au client les informations juridiques portant sur le bien immobilier objet de la vente, et ceci sans tenir compte de l’interdiction pesant sur l’agent commercial de donner des consultations juridiques ou d’établir des avant contrats, laquelle semble-t-il n’a pas été soulevée dans les conclusions échangées par les parties.
Ainsi que nous allons le voir et plus gravement, le mandant agent immobilier, sur qui pèse toutes les obligations d’informations juridiques à l’égard du client, a demandé à être garanti par son agent commercial des fautes qu’il a pu commettre dans l’exécution de la mission qu’il lui avait confiée dans le cadre du mandat conféré par le client.
II – LES RAPPORTS POUVANT EXISTER ENTRE L’AGENT IMMOBILIER MANDANT ET L’AGENT COMMERCIAL MANDATAIRE
Il résulte de la réglementation que l’agent commercial, ne peut dans le cadre de sa mission que recueillir un mandat pour le compte et au nom de son mandant titulaire de la carte professionnelle.
Il paraît donc difficile de retenir la responsabilité de l’agent commercial au titre de conseils juridiques qu’il ne peut donner en raison de la loi.
Sa responsabilité en tant qu’intervenant dans une négociation immobilière se trouve limitée à la signature d’un mandat pour le compte de son mandant et dans l’intérêt du client.
Toute autre interprétation de son activité telle que celle retenue dans le jugement, se trouve en contravention avec les dispositions légales, car en aucun cas, il ne peut participer à des négociations immobilières et donner des conseils.
Il ne paraît donc possible de retenir sa responsabilité pour faute, soit à l’égard de son mandant soit à l’égard du client, que dans la seule mesure où la régularité du mandat qu’il a recueilli serait contestée.
Il convient de remarquer également que le mandat conféré est un mandat apparent alors que le client ne peut ignorer que l’agent commercial n’agit pas à titre personnel, mais en représentation du titulaire de la carte professionnelle, ce qui est matérialisé par l’indication de l’intervention de l’agent commercial, agissant en cette qualité lors de la prise du mandat, ce qui exonère l’agent commercial d’une responsabilité à l’égard de son mandant et du client présenté dans le cadre de l’article 1998 du code civil.
En-dehors de la question de la validité formelle du mandat conféré par son intermédiaire, l’agent commercial ne peut être recherché pour ne pas avoir donné de conseils juridiques au client suite au mandat qui lui a été conféré, ces conseils étant par ailleurs, interdits par les restrictions de pouvoirs qui lui sont imposées par la réglementation d’ordre public de la loi du 2 janvier 1970 et de son décret d’application.
Le cas d’espèce est encore plus topique en présence d’un mandant qui n’exerce pas à titre personnel une activité d’agence immobilière, et fait bénéficier de sa carte professionnelle à des agents commerciaux, à travers une attestation d’emploi, sur toute la France, c’est-à-dire à plusieurs centaines de kilomètres le plus souvent de son implantation.
Ces agents commerciaux ne font donc l’objet que d’une surveillance très lointaine en ce qui concerne les activités qu’ils sont amenés à déployer pour le compte du titulaire de la carte.
Le mode de recrutement des agents commerciaux dans ce domaine d’activité passe par des annonces publicitaires faisant valoir la possibilité d’exercer comme un agent immobilier, une activité de négociation immobilière avec un titre de « conseiller immobilier » ou de « négociateur immobilier indépendant ».
Le titulaire de la carte n’ayant pas d’activité de négociation propre et laissant l’agent commercial gérer les négociations jusqu’à l’établissement d’un avant contrat ou d’un acte authentique de vente, lui reversera une part des honoraires qu’il percevra dans la proportion inhabituelle de 70 à 80 % des honoraires versés, laquelle s’explique par son absence d’intervention dans les négociations.
Les publicités concernant ce type d’activité d’agent commercial, qualifié d’indépendant, laissent croire au futur agent commercial qu’il aura pour son activité, toutes les compétences d’un agent immobilier et percevra une rémunération sensiblement égale à celle de ce dernier, mise à part la partie minime qui sera conservée par le titulaire de la carte professionnelle sous le couvert de laquelle il exerce son activité.
En l’espèce, le titulaire de la carte professionnelle travaillant dans les conditions ci-dessus définies, a considéré que son agent commercial était responsable à l’occasion de conseils juridiques qu’il n’avait pas donné au client, ce qui justifierait sa garantie pour les condamnations qui seraient prononcées à son encontre.
Cette responsabilité de l’agent commercial ne peut être, à notre sens, retenue, dans la mesure où d’une part, il lui est interdit de donner des consultations juridiques, et où d’autre part la négociation et les conseils juridiques ne peuvent être suivis et donnés que par le titulaire de la carte.
Dans les rapports avec le client, le mandat est apparent par l’apposition de son tampon d’agent commercial, de sorte que le client ne peut se méprendre sur la responsabilité de l’agent commercial, sachant depuis la signature du mandat que ce dernier intervient pour le compte d’un mandant, c’est-à-dire le titulaire de la carte professionnelle, seul responsable de l’exécution du mandat.
Pour ces raisons, il nous paraît difficile d’admettre que la responsabilité d’un agent commercial puisse être engagée dans ses rapports avec son mandant et le client de son mandant, pour ne pas avoir enfreint la réglementation applicable, laquelle lui interdit toute prise d’engagement et tout conseil donné au client pour le compte de son mandant.
Conscient de la situation, le titulaire de la carte professionnelle aurait pu se voir opposer les conditions de travail de son agent commercial au titre de la règle NEMO AUDITUR.
En effet, la conclusion du contrat d’agent commercial à la suite des publicités faites par le titulaire de la carte, lui ont fait croire qu’il pouvait agir avec les mêmes pouvoirs qu’un agent immobilier.
Dans les faits, il est évident que l’agent commercial, souvent implanté à plusieurs centaines de kilomètres du siège du titulaire de la carte, se trouve obligé, contrairement aux limites de son statut, de négocier et de prodiguer des conseils aux clients avant la signature de la vente.
Il est en effet le seul à avoir un contact physique avec le client, et cette situation lui étant imposée par le titulaire de la carte professionnelle, ne saurait servir d’argument pour réclamer la garantie de l’agent commercial à l’occasion de la réclamation d’un client.
L’hypocrisie de la situation juridique ainsi créée par le titulaire de la carte, devrait lui interdire tout recours en garantie contre son agent, car on ne peut pas se prévaloir en justice de sa propre turpitude.
III – LA PORTEE DE LA DECISION RENDUE
A notre connaissance, aucun appel n’est intervenu à la demande des compagnies d’assurance couvrant la responsabilité du titulaire de la carte professionnelle et de l’agent commercial.
Pourtant, il ressort des motifs de la décision qu’aucun des arguments pour la défense des intérêts de l’agent commercial n’a été développé pour mettre en évidence l’impossibilité légale et réglementaire de retenir sa responsabilité civile professionnelle du fait des activités qui lui sont interdites par la loi mais qui lui sont imposées par le titulaire de la carte professionnelle compte tenu des conditions dans lesquelles l’activité est exercée.
Il apparaît paradoxal que l’agent commercial puisse voir sa responsabilité retenue dans le cadre d’un mandat apparent, tant pour le titulaire de la carte professionnelle que pour le client, pour sanctionner non un acte positif, comme un conseil juridique, mais un acte négatif consistant à ne pas avoir donné de conseils juridiques alors que donner ces conseils lui est interdit.
Le recours en garantie du titulaire de la carte professionnelle à l’encontre de son agent commercial, pour ne pas avoir donné un conseil juridique interdit par la loi, démontre que le titulaire de la carte n’a pas exercé ses fonctions d’agent immobilier pour le compte de son client, en négociant et en donnant les conseils juridiques nécessaires à ce dernier pour s’engager dans son projet d’acquisition.
Cet appel en garantie de l’agent commercial démontre la carence du titulaire de la carte au titre du devoir de conseil qu’il doit à son client et ne peut justifier une faute à ce titre dans ses rapports avec son mandataire agent commercial.
Il est fort vraisemblable que cette décision ne fera pas jurisprudence alors que les bons arguments ne manqueront pas d’être développés par les agents commerciaux pour s’opposer à des condamnations reposant sur des conseils ou une assistance du client interdits par la loi.
Il convient de noter également que l’installation de l’agent commercial pourrait être analysée comme un bureau secondaire du titulaire de la carte, très éloigné de cette installation, dont la loi interdit la direction par un agent commercial.
Cette décision met en lumière, malgré sa motivation ne tenant aucun compte des restriction légales des pouvoirs des agents commerciaux, la pratique des entreprises dont l’unique objet réside dans la commercialisation de leur carte professionnelle auprès de mandataires ayant toutes les apparences d’un agent immobilier, sans en avoir les pouvoirs.
En ce sens, elles agissent en « pousse au crime » alors qu’elles sont conscientes de l’irrégularité de l’exercice professionnel de leurs mandataires et le favorisent dans le but de les multiplier pour réaliser un profit.
Le législateur ne pouvait imaginer que la loi serait contournée de cette manière pour écarter le critère de compétence et donner les pouvoirs d’un agent immobilier à un négociateur dont la compétence n’est pas certifiée et la surveillance non assurée.
Il est à craindre qu’après avoir allumé très imprudemment la mèche, ce type de contestations entraine des explosions dans le monde de la négociation immobilière, pour ceux qui l’ont allumée !
Ce jugement peut donc être considéré comme une erreur juridique et non comme un précédent, et il est regrettable que la Cour n’ait pas été saisie d’un appel, lequel aurait certainement abouti à reconnaître une absence de responsabilité de l’agent commercial à l’occasion des faits qui lui étaient reprochés.
ADMINISTRER, N°571, JANVIER 2023