LE PORTAGE SALARIAL DES NEGOCIATEURS IMMOBILIERS

I – ACTIVITE DES SOCIETES DE PORTAGE

 

De nombreuses sociétés de portage salarial proposent aux agents immobiliers de porter leurs négociateurs immobiliers, qu’ils soient salariés ou agents commerciaux, et publient à ce sujet sur leurs sites Internet, des offres de service pour décharger les agents immobiliers et leurs négociateurs des obligations fiscales et sociales.

 

De nombreuses sociétés de portage salariale sont très présentes sur Internet pour leur offre de services[1].

 

Leur objet social porte sur l’activité de portage salarial, telle que prévue et réglementée par le code du travail, dans ses articles 1254-1 et suivants.

 

Dans leurs publicités, elles offrent une assistance aux agences immobilières pour salarier les négociateurs indépendants, ayant le statut d’agent commercial.

 

Elles exposent qu’un contrat de portage salarial pourrait être conclu entre l’agence immobilière et leurs sociétés.

 

Ainsi, elles porteraient le négociateur en qualité de salarié afin d’assurer le paiement de ses commissions pour le compte de l’agent immobilier.

 

Les commissions dues au négociateur seraient alors versées par l’agence immobilière, non au négociateur, mais à elles-mêmes, lesquelles reverseraient au négociateur devenu son salarié, le montant des commissions lui revenant et ceci sous forme de salaire après déduction du coût du portage.

 

Elles exposent dans leurs publicités que le négociateur bénéficiera ainsi du statut protecteur de salarié, lequel est plus sécurisant que le statut de travailleur indépendant, qui ne bénéficie pas de la protection des dispositions du code du travail.

 

Elles se vantent d’avoir, en période de covid, permis à des salariés indépendants de bénéficier du chômage partiel, auquel l’agent commercial ne peut pas normalement prétendre.

 

l nous apparaît, pour les raisons qui vont être exposées, que l’activité ainsi déployée par ces sociétés se trouve en infraction avec les dispositions d’ordre public de la loi du 2 janvier 1970 et son décret d’application du 20 juillet 1972, ainsi qu’avec les dispositions restrictives du code du travail portant sur l’activité de portage salarial.

 

II – STATUT DU NEGOCIATEUR IMMOBILIER AU REGARD DE LA LOI ET DE LA REGLEMENTATION

 

L’article 4 de la loi du 2 janvier 1970 réglementant les activités de négociateur immobilier est ainsi rédigé :

 

« Toute personne habilitée par un titulaire de la carte professionnelle à négocier, s’entremettre ou s’engager pour le compte de ce dernier justifie d’une compétence professionnelle, de sa qualité et de l’étendue de ses pouvoirs dans les conditions fixées par décret en Conseil d’État. Les dispositions du titre II de la présente loi lui sont applicables.

 

Les dispositions du chapitre IV du titre III du livre Ier du code de commerce sont applicables aux personnes visées au premier alinéa lorsqu’elles ne sont pas salariées. Ces personnes doivent contracter une assurance contre les conséquences pécuniaires de leur responsabilité civile professionnelle, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État.

 

Ces personnes ne peuvent pas :

1° Recevoir ou détenir, directement ou indirectement, des sommes d’argent, des biens, des effets ou des valeurs ou en disposer à l’occasion des activités mentionnées à l’article 1er de la présente loi ;

2° Donner des consultations juridiques ni rédiger des actes sous seing privé, à l’exception de mandats conclus au profit du titulaire de la carte professionnelle mentionnée à l’article 3 ;

3° Assurer la direction d’un établissement, d’une succursale, d’une agence ou d’un bureau.

 

 

Les personnes qui, à la date d’entrée en vigueur du décret en Conseil d’État mentionné au premier alinéa du présent article, disposent de l’habilitation mentionnée au premier alinéa sont réputées justifier de la compétence professionnelle mentionnée au présent article. »

 

Il résulte de cette réglementation que deux catégories de négociateurs immobiliers peuvent apporter leur concours à un agent immobilier, la première sous une forme de salariat, la deuxième sous une forme de travailleur indépendant, ayant obligatoirement le statut d’agent commercial, tel que réglementé par le code de commerce dans les articles L. 134-4 et suivants.

 

En ce qui concerne la justification de leurs pouvoirs, l’article 9 du décret du 20 juillet 1972, précise :

 

« Toute personne habilitée par un titulaire de la carte professionnelle à négocier, s’entremettre ou s’engager pour le compte de ce dernier, justifie de la qualité et de l’étendue de ses pouvoirs par la production d’une attestation conforme à un modèle déterminé par arrêté du ministre chargé de l’économie.

 

L’attestation est visée par le président de la chambre de commerce et d’industrie territoriale ou de la chambre départementale d’Ile-de-France compétente en application du I de l’article 5, puis délivrée par le titulaire de la carte professionnelle. Les disposition du II de l’article 3 sont applicables pour le visa du président de la chambre de commerce et d’industrie.

 

Toute personne qui détient une attestation est tenue de la restituer au titulaire de la carte professionnelle qui la lui a délivrée, dans les vingt-quatre heures de la demande qui en a été faite par lettre recommandée avec demande d’avis de réception.

 

Sur simple demande du président de la chambre de commerce et d’industrie territoriale ou de la chambre départementale d’Ile-de-France ou du procureur de la République formulée à cet effet, l’attestation doit être retirée.

 

En cas de non-restitution de cette attestation, le titulaire de la carte professionnelle doit en aviser aussitôt le procureur de la République ainsi que le président de la chambre de commerce et d’industrie territoriale ou de la chambre départementale d’Ile-de-France.

 

Toute modification dans les énonciations de l’attestation donne lieu à délivrance d’un nouveau document sur remise de l’ancien.

 

Les nom et qualité du titulaire de l’attestation doivent être mentionnés dans les conventions visées à l’article 6 de la loi du 2 janvier 1970 susvisée lorsqu’il intervient dans leur conclusion, ainsi que sur les reçus de versements ou remises lorsqu’il en délivre. »

 

Il résulte de cette réglementation, en ce qui concerne l’agent commercial, qu’il détient des pouvoirs restreints dans ses rapports avec les consommateurs, car il lui est interdit de donner des consultations juridiques, d’établir des avant-contrats, donc de négocier activement la vente d’un bien au profit d’un client de l’agence immobilière.

 

Son seul pouvoir réside dans la possibilité de rechercher un bien pour le compte de l’agent immobilier et de recueillir au nom de ce dernier un mandat pour la négociation de ce bien.

 

Cette restriction de pouvoir de l’agent commercial s’explique par le fait qu’il n’est pas lié à son mandant par un lien de subordination alors qu’il exerce son activité en toute liberté et autonomie.

 

Il n’en va pas de même pour le négociateur salarié, lequel peut bénéficier de la part de son employeur de délégation de pouvoir sans limite, tant pour la réception des mandats, la fourniture aux clients de conseils juridiques, l’établissement d’avant-contrat et le maniement des fonds pour le compte de l’agent immobilier.

 

Au regard de cette réglementation, il n’est pas envisageable qu’un agent commercial indépendant puisse avoir le statut de négociateur salarié, alors qu’en sa qualité d’indépendant, il ne peut pas être salarié pour l’exécution du mandat qui lui a été conféré par l’agent immobilier et que par ailleurs, la qualité de salarié lui donnerait des pouvoirs de négociation qui lui sont interdits par la loi.

 

Par ailleurs les dispositions de la loi du 2 janvier 1970 et de son décret d’application du 20 juillet 1972n en ce qui concerne les négociateurs salariés ne sont pas compatibles avec les règles édictées par cette réglementation.

 

En effet, l’attestation d’emploi, délivrée par la chambre de commerce et de l’industrie, est établie par l’agent immobilier, titulaire de la carte professionnelle et est signée par lui et par le président de la chambre de commerce.

 

Les sociétés de portage salarial qui sont l’employeur de l’agent commercial, en tant que salarié, ne peuvent pas lui délivrer l’attestation d’emploi, car elles ne détiennent pas de carte professionnelle au sens des articles 1er et suivants de la loi du 2 janvier 1970 et ne remplissent d’ailleurs pas les conditions requises pour obtenir cette carte.

 

Il en va de même pour les négociateurs salariés en raison de la réglementation spécifique régissant les activités des négociateurs immobiliers laquelle ne permet pas, en raison de cette réglementation, de donner à ce dernier le statut de salarié de la société de portage, dans des conditions interdites par la loi, puisqu’il ne peut recevoir d’attestation d’emploi que du titulaire de la carte professionnelle.

 

La confusion opérée entre les deux statuts, agent commercial et négociateur salarié, prive les consommateurs du bénéfice d’une loi d’ordre public de protection en permettant à ce dernier d’exercer des pouvoirs de négociateur salarié qui lui sont interdits, alors que les compétences d’un agent commercial sont limitées.

 

Le portage salarial présente donc un danger pour le consommateur en présence d’une loi d’ordre public de protection.

 

En ce qui concerne le négociateur salarié, il ne peut recevoir d’attestation d’emploi que de l’agent immobilier et en aucun cas de la société de portage salarial laquelle ne peut être titulaire d’une carte professionnelle d’agent immobilier, alors que l’activité unique qui lui est autorisée est celle de portage salarial à l’exclusion de toute autre.

 

III – UNE SOCIETE DE PORTAGE SALARIAL NE PEUT SALARIER UN AGENT COMMERCIAL DANS LE CADRE DE SES ACTIVITES

 

Par définition, tel que prévu dans le code de commerce, l’agent commercial est un travailleur indépendant, ce qui exclut toute possibilité de salariat.

 

L’article L. 134-1 du code de commerce dispose en effet :

 

« L’agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d’achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d’industriels, de commerçants ou d’autres agents commerciaux. Il peut être une personne physique ou une personne morale et s’immatricule, sur sa déclaration, au registre spécial des agents commerciaux. »

 

Par ailleurs, l’article L. 1254-24 du code du travail dispose :

 

« L’entreprise de portage salarial exerce à titre exclusif l’activité de portage salarial.

Seule une entreprise de portage salarial peut conclure des contrats de travail en portage salarial. »

 

L’article L. 1254-3 du code du travail dispose quant à lui :

 

« L’entreprise cliente ne peut avoir recours à un salarié porté que pour l’exécution d’une tâche occasionnelle ne relevant pas de son activité normale et permanente ou pour une prestation ponctuelle nécessitant une expertise dont elle ne dispose pas. »

 

En application de ces deux articles, une entreprise de portage salarial ne peut pas exercer d’autres activités que celle du portage salarial.

Elle ne peut donc être titulaire d’une carte professionnelle d’agent immobilier, laquelle serait contraire à l’exigence légale d’exclusivité portant sur son activité unique de portage salarial.

 

Enfin, le mandat d’agent commercial étant un mandat permanent, l’exigence de l’article L. 1254-3 du code de travail ne permet pas à un agent immobilier de recourir à un portage salarial puisque le salarié porté n’exécute pas une tâche occasionnelle et que l’activité normale et permanente de l’agent commercial n’a pas le caractère d’une prestation ponctuelle.

 

À tous ces titres, le portage salarial d’un agent commercial de l’immobilier n’est pas possible dans le respect des dispositions légales de la loi du 2 janvier 1970, de son décret du 20 juillet 1972 de même que de la réglementation applicable aux entreprises de portage salarial.

 

En effet, l’agent commercial dans l’immobilier est un professionnel indépendant dont l’exercice de l’activité nécessite la délivrance de l’attestation de l’article 9 du décret du 20 juillet 1972 et le respect des limites posées à son activité par l’article 4 de la loi du 2 janvier 1970.

 

En aucun cas, de par son statut et des dispositions de la loi, il ne peut être salarié du titulaire d’une carte professionnelle d’agent immobilier et ceci, soit directement, soit indirectement par le biais d’une entreprise de portage salarial.

 

Les entreprises de portage salarial ne peuvent donner leur concours à une entreprise lorsque l’activité développée par le salarié porté n’est pas limitée dans le temps et n’est pas justifiée par une activité occasionnelle.

 

Pour toutes ces raisons, reprises dans un avis de la DGCCRF en date du 24 juillet 2018[2], de même que dans une réponse ministérielle publiée le 17 novembre 2022[3], il apparait que le portage salarial est incompatible avec une activité de négociateur immobilier agent commercial.

 

Sur le plan pénal, cette activité peut constituer des infractions en incitant et en recourant au portage salarial pour des agents commerciaux du secteur immobilier.

 

IV – QUALIFICATION PENALE

 

Aux termes de l’article 1er de la loi du 2 janvier 1970, nul ne peut prêter son concours à des opérations de vente ou de location, portant sur les biens d’autrui sans être titulaire d’une carte professionnelle, l’habilitant à se livrer à l’activité de négociation immobilière.

 

En infraction avec les dispositions du code du travail, ces sociétés prêtent leur concours à des opérations portant sur les biens d’autrui, sans être titulaire d’une carte professionnelle transaction immobilière.

 

Ces sociétés, en apportant leur concours à des opérations de négociation immobilière, avec l’aide d’agents commerciaux ou de négociateurs salariés, et d’agences immobilières, sans avoir délivré l’attestation d’emploi de l’article 9 du décret délimitant leurs pouvoirs, sont en infraction avec les dispositions des articles 4 de la loi et de l’article 9 du décret du 20 juillet 1972.

 

Le fait de percevoir des sommes d’argent, à savoir des honoraires d’agences immobilières, sans être titulaire d’une carte professionnelle, et le fait de se livrer en tant qu’entreprise de portage à d’autres activités que le portage salarial, peuvent constituer des infractions sanctionnées par des peines correctionnelles prévues par l’article 14 a, 14 d et 16-1 de la loi du 2 janvier 1970.

 

Ces infractions pourraient entraîner également, pour ces sociétés, l’application des peines prévues par le code du travail, en répression d’une activité irrégulière de société de portage, ainsi que les peines d’escroquerie pour avoir prêté leur concours à des opérations tendant à faire croire aux organismes sociaux à l’existence d’un contrat de travail afin de bénéficier des avantages sociaux d’un salarié, sous forme de prime ou d’indemnité, délit prévu et réprimé par l’article 313-1 du code pénal.

 

Pour ces raisons, nous estimons que l’activité de portage salarial ne peut être compatible avec les activités de négociation immobilière qui sont celles des agents immobiliers et de leurs négociateurs.

 

V – EN CONCLUSION

 

Tant l’agent immobilier que ses négociateurs doivent éviter par prudence de faire appel à une société de portage salarial en raison des risques qu’entraine la règlementation de leur activité tant sur le plan du droit du travail que celui des conséquences pénales si les juridictions et les pouvoirs publics suivaient notre raisonnement.

 

ADMINISTRER, N°585, AVRIL 2024

 

 

[1] https://www.itg.fr/portage-salarial/portage-salarial-immobilier ;

https://www.fci-immobilier.com/le-portage-salarial-immobilier/ ;

https://www.recrutement-safti.fr/portage-salarial-immobilier 

[2] NP

[3] Rép. min. à QE no 01237, JO Sénat 17 novembre 2022, p. 5762.