Commentaire sur l’arrêt rendu par la 3e Chambre Civile de la Cour de Cassation le 23 septembre 2021 (Civ.3, 23 septembre 2021, n°20-17.799)
ARRET :
« […]
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 27 mai 2020), le 16 mai 2006, [W] [T], décédé le [Date décès 1] 2016, a donné en location à la société Clerc, devenue la société Hôtel de Latour Maubourg, un immeuble à usage d’hôtel qu’il a légué à l’association Cultuelle Fraternité Sacerdotale Saint Pie X (l’association).
2. Le 24 octobre 2018, la propriétaire a fait signifier à la locataire la lettre recommandée qu’elle lui avait adressée le 19 octobre précédent, valant offre de vente de l’immeuble loué au prix de 5 050 000 euros, outre une commission d’agence immobilière, aux frais de l’acquéreur, de 300 000 euros.
3. Par lettre recommandée du 29 octobre 2018, la société Hôtel de Latour Maubourg a contesté la régularité l’offre.
4. Ayant le 9 novembre 2018 consenti à la société Chatel Transaction une promesse unilatérale de vente de l’immeuble au prix de 5 050 000 euros la propriétaire a assigné la locataire aux fins de constatation de la purge du droit de préférence de celui-ci.
Examen des moyens
Sur le premier et le deuxième moyens, ci-après annexés
5. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le troisième moyen, pris en ses deux premières branches
Enoncé du moyen
6. La société Hôtel de Latour Maubourg fait grief à l’arrêt de juger que l’association a régulièrement signifié à la locataire une offre de vente de l’immeuble et que cette offre n’a pas été acceptée par le preneur, alors :
« 1°/ qu’en application de l’alinéa 1er de l’article L. 145-46-1 du code de commerce, disposition d’ordre public, le bailleur qui envisage de vendre son local commercial doit préalablement notifier au preneur une offre de vente ; qu’il s’ensuit que l’offre de vente est nulle pour avoir été délivrée au preneur après que le bailleur a trouvé un acquéreur, à la suite du mandat donné à l’agent immobilier lui ayant donné deux avis de valeur, concomitamment à la conclusion d’une promesse unilatérale de vente réservant l’exercice du droit de préférence par le preneur ; qu’en décidant cependant qu’il était au pouvoir de l’association de confier un mandat de vente à l’agent immobilier après lui avoir demandé un avis de valeur, de faire procéder à des visites du bien, sans attendre la notification au preneur d’une offre de préemption, et de conclure une promesse unilatérale de vente sous réserve du droit de préférence du preneur, la cour d’appel a violé l’article L. 145-46-1 du code de commerce ;
2°/ que l’existence d’un droit prioritaire d’acquisition au profit du preneur s’oppose à ce qu’il soit purgé au stade de la signature de la promesse unilatérale de vente, peu important qu’elle ne vaille pas vente ; qu’en relevant incidemment que la notification a été faite préalablement à la vente, la promesse de vente ne valant pas vente, la cour d’appel a violé l’article L. 145-46-1 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
7. La cour d’appel a exactement retenu que, la notification de l’offre de vente ayant été adressée préalablement à la vente, l’association avait pu confier à la société Immopolis un mandat de vente le 3 mars 2018, puis faire procéder à des visites du bien et que le fait qu’elle ait conclu, le 8 novembre 2018, une promesse unilatérale de vente, sous la condition suspensive tenant au droit de préférence du preneur, n’invalidait pas l’offre de vente.
8. Le moyen n’est donc pas fondé.
Sur le troisième moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
9. La société Hôtel de Latour Maubourg fait les mêmes griefs à l’arrêt, alors « qu’en application de l’alinéa 1er de l’article L. 145-46-1 du code de commerce, disposition d’ordre public, le bailleur qui envisage de vendre son local commercial doit préalablement notifier au preneur une offre de vente qui ne peut inclure des honoraires de négociation ; qu’il s’ensuit que l’offre de préemption est nulle dès lors qu’elle indique les frais d’agence, serait-ce séparément du prix de l’immeuble ; qu’en décidant que la mention des frais d’agence n’a introduit aucune confusion dans l’esprit du preneur qui était à même de les distinguer du prix de vente en principal, la cour d’appel a violé l’article L. 145-46-1 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
10.La cour d’appel a, par motifs adoptés, retenu, à bon droit, que, si l’offre de vente notifiée au preneur à bail commercial ne peut inclure dans le prix offert des honoraires de négociation d’un agent immobilier, dès lors qu’aucun intermédiaire n’est nécessaire ou utile pour réaliser la vente qui résulte de l’effet de la loi, la seule mention dans la notification de vente, en sus du prix principal, du montant des honoraires de l’agent immobilier, laquelle n’avait introduit aucune confusion dans l’esprit du preneur, qui savait ne pas avoir à en supporter la charge, n’est pas une cause de nullité de l’offre de vente.
11. Elle a constaté que, sur l’offre de vente notifiée à la société Hôtel de Latour Maubourg, qui mentionnait le montant des honoraires de l’agence, le prix de vente en principal était clairement identifié.
12. Elle a retenu exactement que, le preneur pouvant accepter le prix proposé, hors frais d’agences, l’offre de vente n’était pas nulle.
13. Le moyen n’est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :REJETTE le pourvoi ; […] »
COMMENTAIRE :
1. Rappel des circonstances de fait
Dans deux précédents articles (ADMINISTRER – Février 2019. P18 ; ADMINISTRER -Août/septembre 2020 p.41) nous avions examiné la problématique résultant du jugement rendu en première instance et en appel dans ce cas d’espèce où les conditions d’exercice du droit de préférence du locataire avaient reçu une réponse jurisprudentielle.
Il s’agissait d’un locataire commerçant exploitant un hôtel dans la totalité d’un immeuble qui lui était loué à cet usage.
Le propriétaire des murs de l’hôtel, ayant décidé de procéder à la vente de la totalité de l’immeuble, avait chargé préalablement plusieurs experts immobiliers de procéder à une évaluation de la valeur vénale des murs et avait conféré, avant d’adresser la notification de vente au locataire, un mandat à un agent immobilier en vue de la recherche d’un acquéreur avec les honoraires à la charge de ce dernier.
La notification de la vente a été effectuée au locataire commerçant postérieurement aux expertises immobilières des murs de l’immeuble et au mandat conféré à l’agent immobilier, laquelle a distingué le prix de vente de l’immeuble et les honoraires dus à l’agent immobilier mandataire dont le règlement était mis à la charge du locataire.
Postérieurement à cette notification, une promesse de vente au profit d’un tiers acquéreur a été conférée alors que le délai d’exercice du droit de préférence n’était pas encore expiré.
La contestation du locataire portait sur :
- la nullité de la notification alors que cette dernière comportait des honoraires de négociation à la charge du locataire en plus du prix de vente
- l’impossibilité pour le propriétaire, préalablement à la notification, de solliciter des expertises pour déterminer la valeur des murs et le fait de confier un mandat de recherche d’acquéreur au profit d’un professionnel
Les juridictions du fond (Tribunal Judiciaire de PARIS du 28 Mars 2019 – RG n°18/15054 ; Cour Appel de PARIS – Pôle 5 – Chambre 3 – 27 mai 2020 – RG n°19/09638 – N° Portalis 35L7-V-B7D-B744Y) ont répondu négativement en considérant :
- Que la notification était valable à partir du moment où le prix de vente des murs était identifié à côté des honoraires de négociation, ce qui permettait au locataire de contester le paiement des honoraires et de préempter la vente des murs dont le prix était déterminé.
- Que rien n’interdit au propriétaire de rechercher la valeur de ses murs en s’adressant à des professionnels et en conférant un mandat de recherche d’acquéreur au profit d’un agent immobilier et ceci préalablement à la notification de la vente.
C’est dans ces conditions qu’un pourvoi a été introduit par le locataire, lequel a fait l’objet de l’arrêt commenté.
Dans un premier temps, cet arrêt approuve les décisions rendues par les juridictions du fond en considérant qu’il était loisible au propriétaire bailleur de conféré un mandat de vente au profit d’un agent immobilier préalablement à la notification ayant pour objet de purger le droit de préemption du locataire.
Dans un second temps, la Cour de cassation confirme que les honoraires de négociation ne sont pas à la charge du locataire lors de la première notification et que, par ailleurs, le fait de mentionner le prix des murs et, d’une manière distincte, le montant des honoraires qui ne sont pas dus, n’entraine pas la nullité de la notification alors que le prix de vente des murs est clairement identifié.
La messe est dite par la Cour de Cassation sur les modalités d’exercice du droit de préemption du locataire commerçant lors de la vente des murs commerciaux dont dépendent les lieux loués.
Il reste cependant des points d’incertitude qui n’ont pas encore été tranchés notamment en ce qui concerne la notification d’un prix net vendeur au locataire alors que les honoraires de l’intermédiaire sont payés par le propriétaire, de même que la question des honoraires dus au professionnel immobilier lorsque le locataire n’a pas exercé son droit de préférence ou de préemption lors de la première notification mais seulement lors de la deuxième notification en cas de vente à un prix plus avantageux au profit d’un tiers.
2. Les éléments de certitude
Cet arrêt de rejet de la Cour de Cassation permet de cerner précisément les modalités de la notification du droit de préférence du locataire.
Le bailleur, préalablement à la notification faisant courir le droit de préférence du locataire, peut donc s’entourer de professionnels immobiliers pour déterminer son prix et conférer à l’un d’entre eux un mandat de vente (mandat de recherche d’acquéreur).
La notification adressée au locataire reste valable quand bien même des honoraires de négociation figurent à sa charge dans cette notification à partir du moment où le prix des murs est parfaitement déterminé.
La précédente jurisprudence de la Cour de Cassation (Civ.3, 28 juin 2018, n°17-14.605) est confirmée dans la mesure où il a été disposé que des honoraires ne sont pas dus au titre de la négociation du bien immobilier si le locataire, suite à la première notification, exerce son droit de préférence.
Aujourd’hui et semble-t-il en toute sécurité, tout propriétaire dont le bien est susceptible d’être préempté dans le cadre du droit de préemption du locataire de l’article L.145-46-1 du Code de commerce, est libre de solliciter des expertises et, suite à ces expertises, de conférer un mandat au profit d’un professionnel immobilier pour la recherche d’un acquéreur.
Ces démarches peuvent être réalisées et les actes signés antérieurement à la notification au locataire de son droit de préemption.
Une promesse de vente peut être établie sous condition suspensive de l’absence d’usage par le locataire de son droit de préemption.
La Cour considère que le fait de consentir une promesse unilatérale de vente sous cette condition n’invalide pas l’offre de vente faite au locataire.
3. Les éléments d’incertitude sur l’application de l’article L.145-46-1 du Code de commerce
- En ce qui concerne la vente globale de l’immeuble
Il reste à s’interroger sur le bénéfice d’un droit de préemption lorsqu’un locataire occupe la totalité de l’immeuble, en effet l’exception supprimant le droit de préférence du locataire commerçant vise la vente de la totalité de l’immeuble comportant des locaux commerciaux.
Cette question n’a pas été posée aux juridictions du fond et à la Cour de Cassation alors que le locataire qui occupait la totalité de l’immeuble a bénéficié de la part du propriétaire d’une reconnaissance de son droit de préemption.
La rédaction de l’article L.145-46-1 dernier alinéa prévoit que le droit de préemption du locataire n’est pas non plus applicable à la cession globale d’un immeuble comprenant des locaux commerciaux.
A ce sujet, une réponse ministérielle (Réponse ministérielle à la question n°92592 publiée au JO le 12/04/2016 p.3106 et à la question n°98594 publié le 16/12/2016 p10078) interprétant ces dispositions considère que la vente globale d’un immeuble comportant un seul ou plusieurs locataires commerçants exclut le droit de préemption.
Une décision de la Cour d’appel de Versailles (Versailles, 14 novembre 2019, RG n°19/05033) semble confirmer le sens de la réponse ministérielle.
Sous réserve d’autres décisions des juridictions du fond ou de la Cour suprême, il semblerait que l’exclusion du droit de préférence du locataire aurait une portée générale en cas de vente de la globalité de l’immeuble sans considérer ses conditions d’occupation au singulier ou au pluriel.
Il n’existe aucune certitude sur ce point.
- En ce qui concerne la charge des honoraires de négociation
Nous avons vu que les honoraires de négociation ne sont pas dus et ne peuvent pas être mis à la charge du locataire lorsque le propriétaire procède à la première notification ayant pour objet la purge du droit de préemption.
Rien n’empêche le propriétaire, lorsqu’il confère un mandat de négociation à un professionnel de l’immobilier, de supporter le montant de ses honoraires en cas de vente de l’immeuble au profit du titulaire du droit de préférence ou au profit d’un tiers.
En effet, les missions conférées par le vendeur à des professionnels immobiliers ont été déclarées régulières dans le cadre de la décision commentée.
Ces professionnels sont nombreux puisqu’en plus des agents immobiliers, les notaires, les avocats, les géomètres-experts, prêtent leur assistance à des opérations de vente portant sur des biens immobiliers de leurs clients.
Cette assistance, lorsqu’elle aboutit à une vente, fait l’objet d’un honoraire en pourcentage qui s’ajoute à l’honoraire au temps passé.
Lorsque le prix est notifié au locataire, il sera dans cette éventualité notifié pour un prix global incluant les honoraires qui seront acquittés par le vendeur si l’opération est menée à son terme.
Normalement, le locataire n’a pas à connaitre des conditions de détermination du prix qui lui est notifié et les éventuels honoraires qui peuvent être versés par le vendeur pour une assistance qui lui est donnée afin de parvenir à la vente.
A notre sens, le locataire ne peut pas discuter les rémunérations qui sont versées par le vendeur à l’occasion de la mise en vente de son immeuble.
Rien ne démontre d’ailleurs que le prix notifié au locataire comporte des honoraires lorsqu’il a été évalué par le propriétaire.
De ce fait et lors de la première notification, il semblerait prudent de ne pas préciser autre chose que le prix de vente des murs.
- En ce qui concerne la vente à un prix plus avantageux que celui notifié.
Lorsque le locataire n’a pas préempté sur la première notification, le propriétaire se trouve dans l’obligation de trouver un tiers acquéreur et ceci avec l’aide d’un professionnel immobilier.
Dans cette éventualité, il est possible que le mandat conféré à ce professionnel mette la charge des honoraires sur le tiers acquéreur recherché.
De ce fait, la deuxième notification qui sera faite au locataire tiendra compte du prix de vente des murs mais aussi des honoraires du professionnel.
Ces honoraires du professionnel peuvent-ils être mis à la charge du locataire qui préempte sur deuxième notification ?
A notre sens, la situation est différente de celle examinée par la Cour suprême dans ses arrêts alors que si l’absence d’honoraires de négociation se comprend pour le locataire lors de la première notification, il n’en va pas de même lors de la deuxième notification.
Le locataire n’ayant pas préempté, le propriétaire se trouve dans l’obligation de remettre son bien en vente pour en fixer le prix.
Si le prix offert par un tiers acquéreur est identique à celui notifié au locataire, son droit de préemption ne renaitra pas.
Si le prix est plus avantageux, le locataire pourra préempter sur la deuxième notification mais il devra aussi acquitter les honoraires du professionnel dont l’intervention se révèle cette fois-ci obligatoire à travers la recherche d’un tiers acquéreur et la fixation d’un prix.
Sur ce point, l’arrêt de la Cour suprême n’a pas statué et il n’est pas possible aujourd’hui, sauf bon sens, de savoir si lors d’une deuxième notification au locataire, ce dernier devra acquitter les honoraires du professionnel à l’origine de la vente.
La lumière n’est donc pas totale en ce qui concerne l’application de l’article L.145-46-1 du Code de Commerce tant que ces points d’ombre n’auront pas été éclaircis par les juridictions du fond et la Cour suprême.
ADMINISTRER, N°558, NOVEMBRE 2021